samedi 17 août 2019

#RDVAncestral - Un retour aux sources, dans le village de mon enfance

Comme tous les troisièmes samedis du mois, nous sommes invités à rencontrer nos ancêtres dans le cadre du #RDVAncestral. Pris dans les formalités administratives et le déménagement de la maison de mes parents suite au décès de mon père, je n'avais pas préparé de rendez-vous pour ce mois d'août. Pourtant, une promenade dans le village de mes ancêtres va me faire comprendre que mes racines sont bien là.


Samedi 17 août 2019.

Bien loin de la chaleur de juillet, cette journée est marquée la fraîcheur. Le ciel gris et bas laisse s'échapper une petite pluie qui me fait penser au crachin breton que je connais bien, puisque la Bretagne est devenue ma terre d'adoption depuis de nombreuses années. Pourtant je suis en Moselle, sur la terre de mes ancêtres. Même si je suis en vacances, ces jours prennent une dimension particulière puisque je dois vider la maison de mes parents disparus. Trier, ranger, mettre en carton, jeter... rien de facile dans cette tâche où les sentiments contradictoires se mêlent. Les émotions se heurtent à la raison, les souvenirs aussi.

Malgré la pluie, je décide d'aller m'aérer... pour me changer les idées.

Je suis à Marange-Silvange. Cette commune où j'ai vécu est aussi l'endroit où mon arrière-grand-père, Pierre HOURTE, avait décidé de s'installer en 1932. Finie la maison familiale de Vinsberg, devenue trop vieille, trop loin de tout. Il faut dire que développement des usines et de la sidérurgie au début du vingtième siècle avait largement amplifié l'exode rural en Lorraine. 

Je déambule dans les rues du vieux village et m'engage au niveau de l'église Saint-Clément vers le chemin qui mène aux vignes qui ont été replantées depuis quelques décennies maintenant. Après quelques minutes de marche, j'arrive au pied de la Chapelle des Vignes et de la Croix de Mission, trempé. Je reprends mon souffle, m'essuie le front, et me retourne pour contempler le vieux village.

Pourtant, quel ne fut pas mon étonnement à la vue du paysage. Les maisons récentes ont disparue, tout comme l'autoroute. Le clocher de l'église est tout comme je l'ai connu sur des cartes postales du début du vingtième siècle. Sans nul doute, je m’apprête à vivre un nouveau Rendez-Vous Ancestral. 

Le village de Marange-Silvange dans la première moitié du XXème siècle (Source : Delcampe)

Je m'estime plutôt chanceux car mon arrivée dans le passé se fait sous le soleil et la chaleur. Rapidement, j'entends du bruit et des voix d'enfants et d'adolescents qui montaient du village vers la chapelle. J'aperçois alors quatre jeunes garçons, visiblement pressés. Ils arrivent rapidement à ma hauteur et me saluent poliment avant de monter vers les bois. 

L'un d'entre-eux se retourne alors vers moi, me scrute d'un regard curieux et décide de revenir à ma hauteur en criant à ses camarades  : "Allez-y, je vous rejoins tout de suite".

Ses yeux, son visage... je le reconnais. C'est mon grand-père, Pierre. Je décide d'entamer la conversation.
"- Re-bonjour jeune homme.
- Bonjour monsieur, excusez-moi de ma curiosité, mais j'ai une question à vous poser".
Je suis assez étonné. Peut-être a-t-il une idée sur mon identité ? Aurait-il eu vent de ma venue ? Je ne sais décidément pas quel comportement avoir dans le cadre du Rendez-Vous Ancestral : faut-il tout dire ? expliquer que je suis un descendant ? ou bien ne pas choquer en disant simplement que je suis un lointain cousin ?  Ayant répondu affirmativement, je lui laisse poser sa question :
"- Nous sommes en plein été, il fait très chaud, et pourtant vous êtes trempés comme si vous veniez de prendre une averse. Avouez qu'il y a quelque chose d'étrange".
Sur le coup, je ne m'attendais pas à cela. Je n'avais pas remarqué que j'étais resté complètement trempé malgré mon saut temporel. Pour autant, je retrouve dans cette remarque la vivacité d'esprit que l'on m'a tant décrite sur mon grand-père. Après quelques secondes de silence, j'arrive enfin à structurer une réponse :
"-Eh bien c'est une bien longue histoire que je ne pourrai malheureusement pas vous raconter jeune homme. Et si je vous la racontais, vous ne me croiriez pas".
Je vois mon Pierre froncer les sourcils. Je comprends que ma réponse ne lui convient pas. Malgré tout, remarquant sans doute que ses copains étaient déjà loin, il me salue et repart en courant sur le chemin qui monte vers les bois.

Je sens alors des gouttes de pluie tomber sur ma tête et l'eau ruisseler sur mon front. Me revoici en 2019. 

Malgré la brièveté de ce Rendez-Vous Ancestral, j'ai compris que cette entrevue avec mon grand-père n'était pas la dernière, et que nous allions sans doute nous rencontrer dans d'autres occasions. Même si je dois me défaire de la maison de mes parents, je sais qu'une partie de mes racines sont là, bien ancrées.

jeudi 1 août 2019

#Projet3Mois - Louis-Joseph WALENTIN, un soldat de la Grande Armée en Espagne (Saison 2 - Episode 4)

Je reprends ici mon dernier #Projet3Mois que j’avais laissé en suspens, faute de temps. Nous avions laissé Louis-Joseph WALENTIN au moment de sa conscription en juin 1807. Grâce aux nombreuses sources généalogiques et historiques, j’ai pu retracer son parcours dans la Grande Armée de 1807 à 1811. Je vous propose dans ce nouvel article de découvrir mon cheminement de recherche et les sources qui m’ont permis de retracer son parcours.

Mon point de départ : le répertoire alphabétique des soldats pensionnés en sous-série 2Yf


Mes premières recherches sur Louis-Joseph WALENTIN datent de fin 2012 (déjà 7 ans !). A cette époque, le Service Historique de la Défense (SHD) avait mis en ligne le répertoire alphabétique des dossiers de soldats pensionnés classés en sous-série 2Yf. Malheureusement, ce répertoire n’est plus accessible sur internet et il faut se déplacer dans la salle de lecture Louis XIV du château de Vincennes du SHD pour pouvoir le consulter.

Dans ce document, la liste des soldats renvoie à un numéro qui constitue la cote du dossier en question. Ainsi, pour Louis Joseph WALENTIN (extrait ci-dessous), la cote du dossier classé en archive est 2Yf28343. Vous voyez par ailleurs que Louis-Joseph a reçu une pension de soldat mais également pour blessures.

Extrait du répertoire alphabétique des dossiers de soldats pensionnés classés en sous-série 2Yf (SHD)


Sur cette base, j’ai réalisé une demande de reproduction du dossier en question fin décembre, qui m’a été envoyé… plus de 5 mois plus tard ! Cette attente ne fut pas vaine. Le dossier m’a apporté de nombreuses informations qui m’ont permis d’aller plus loin dans mes recherches.

Ce que j’ai appris dans le dossier de soldat pensionné


Le dossier de pension apporte des informations assez précises sur le parcours de Louis-Joseph :

  • Il est d'abord entré au 3ème Régiment d'Infanterie Légère le 23 juin 1807. 
  • Le 1er juillet 1808, il entre dans la composition du 119ème Régiment d'Infanterie et part ensuite en Espagne, où il participe aux campagnes de 1808, 1809, 1810 et 1811. 
  • Le 3 juin 1811, il est blessé à Astorga. Il a été atteint d'un coup de feu à l'avant-bras droit, fracturant le radius. La balle n'a pas été extraite.

Extrait du dossier de demande de pension de retraite de soldat de Louis-Joseph WALENTIN (SHD, 2Yf28343)

Retour aux archives départementales pour consulter la liste des conscrits de 1807


Mes recherches m’ont amené ensuite à retourner aux Archives départementales de la Moselle pour consulter la liste des conscrits de 1807. Les fonds des bureaux de recrutement de la Moselle sont classés en sous-série 2R et le document que je recherche est le 2R2 (Contrôle de départ des 2e-18e régiments d’Infanterie de ligne – 1806-1813). 

Je commence à éplucher les liasses de documents mais je ne trouve rien pour le 3ème Régiment de Ligne... :/

Ma persévérance va m’amener à regarder les autres listes de contrôle de départ quand je retrouve enfin Louis-Joseph, au sein du 13ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Le dossier de retraite présente donc bien une erreur!

Je n'entrerai pas plus dans le détail de la conscription, puisque j'en ai déjà parlé lors de l'épisode 2 de ce #Projet3Mois.

Les registres matricules de la garde impériale et de l’infanterie de ligne


A la fin de l’année 2013, une bonne surprise va me permettre de continuer mes recherches sur Louis-Joseph : les registres matricules des sous-officiers et hommes de troupe des unités de la Garde consulaire, de la Garde impériale, de la Garde royale et de l'Infanterie de ligne pour la période de 1802 à 1815 ont été mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes. Je plonge alors, tête baissée, dans la recherche de mon aïeul dans le registre du 119e régiment d'infanterie de ligne, formation au 1er juillet 1808 (SHD/GR 21 YC 844).

Après plusieurs longues heures de recherche, et au bout de la 279ème vue, je le retrouve enfin sous le matricule 1663.

Les signes descriptifs de Louis-Joseph ne changent pas par rapport au contrôle de départ des troupes. Il arrive au corps le 1er juillet 1808 dans le 4ème bataillon, 1ère compagnie en tant que fusilier. Il est dit qu’il a servi au 13ème Régiment d’Infanterie Légère depuis le 23 juin 1807. Le descriptif signal qu’il est congédié avec retraite le 27 décembre 1811.
Service Historique de la Défense – SHD/GR 21 YC 844- Registres matricules de l’Infanterie de ligne – Vue 279


Bien évidemment, mes recherches se seraient déroulées très différemment aujourd’hui puisque j’aurais pu aisément retrouver Louis-Joseph dans l'indexation des registres matricules réalisé dans le cadre du Projet Matricules 1802-1818 et mis en ligne sur Geneanet. Mais je me pose une question : aurais-je eu le réflexe d’aller voir également son dossier de pensionné ?

Résultat de la recherche de "Louis VALENTIN" dans l'indexation des registres des soldats napoléoniens sur Geneanet

Comment retracer le parcours de Louis-Joseph ?

Escena de guerra, Goya entre 1808 et 1812 (Domaine public)

La guerre d'Espagne, également appelée "Guerre d'indépendance" du côté espagnol, a débutée en 1808 après un insurrection des habitants de Madrid contre les français qui occupaient la ville, et qui ne tarda pas à s'étendre à tout le pays.  

L’armée de  Napoléon fut confrontée à une guérilla espagnole, soutenue par la Grande Bretagne. Cinq ans après, l'Armée se vit dans l'obligation de refluer au-delà des Pyrénées. L'Espagne envahit alors la France et elle obtint finalement la victoire avec les forces alliées.

Mais revenons au  119e  régiment d'infanterie de ligne. L’historique des régiments de l’époque napoléonienne est plus difficile à retracer car nous ne bénéficions pas de Journaux de Marche comme pour la Première Guerre Mondiale. Le généalogiste et l’historien doivent alors utiliser d’autres sources.

Une source extrêmement utile : le SEHRI

On sait, d'après la première page du registre matricule, que le 119ème régiment a été formé à partir du 13ème régiment provisoire, lui-même constitué de 6 bataillons de différents régiments d’infanterie de Ligne, sont le 13ème (tout ceci semble logique).

Les travaux réalisés par la Société d'Etudes Historiques Révolutionnaires et Impériales (SEHRI) nous renseignent plus précisément. Ainsi, le 119ème a été créé par décret du 7 juillet 1808, à partir des 13 et 14èmes régiments provisoires des armées d'Espagne, formés le 8 novembre 1808 à Prádanos de Bureba (Espagne) (Croyet J, 2011).

Le 13ème Régiment d’Infanterie Provisoire était donc composé de la manière suivante:
  • 1er bataillon de 4 compagnies du 55ème de Ligne 
  • 2ème bataillon de 4 compagnies du 17ème de Ligne 
  • 3ème bataillon de 4 compagnies du 43ème de Ligne 
  • 4ème bataillon de 4 compagnies du 48ème de Ligne. 
Les compagnies du 43e de ligne (et du 55ème ?) restèrent isolées en bataillon provisoire jusqu’à ce qu’elles puissent être réunis à leur corps qui sert en Espagne.

Le 14ème Régiment d’Infanterie Provisoire était quant à lui formé de la manière suivante :
  • 1er bataillon de 4 compagnies du 108ème de Ligne, 
  • 2ème bataillon de 4 compagnies du 72ème de Ligne, 
  • 3ème bataillon de 4 compagnies du 65ème de Ligne, 
  • 4ème bataillon de 4 compagnies du 13ème Régiment d’Infanterie Légère.
On retrouve effectivement Louis-Joseph dans la 1ère compagnie du 4ème bataillon. CQFD !

Les correspondances de Napoléon


Les correspondances de Napoléon à ses principaux ministres, généraux ou aux membres de sa famille nous apportent également des informations intéressantes sur le contexte de cette période.

Ainsi, dans une lettre du 11 novembre 1808 adressée au général Dejean, ministre directeur de l'administration de la guerre, à Paris, l'Empereur s'inquiète du manque de moyen du 119e, au point ou il demande à accorder rapidement des fonds pour confectionner notamment des souliers, des draps ou des habits !

Burgos, 11 novembre 1808
Au général Dejean, ministre directeur de l'administration de la guerre, à Paris
Monsieur le général Dejean, j'ai passé aujourd'hui la revue du 118e et du 119e régiment d'infanterie. Ces régiments, qui ont leurs dépôts près de Bayonne, n'ont aucune comptabilité. Accordez-leur les fonds nécessaires pour confectionner des souliers, et des draps pour faire des habits et des capotes, qu'on enverra à Bayonne. Ordonnez aux majors de former en France la musique et tout ce qui est nécessaire à ces régiments, et de le leur envoyer. Tous les sept nouveaux corps sont dans ce cas.

Les tableaux de blessés et tués de l'armée napoléonienne par Martinien

On retrouve sur wikipédia quelques informations sur les principales batailles engagées par le 119e régiment d'infanterie de ligne entre 1808 et 1811 : 
  • 1808 : Medina-del-Rio-Seco, Burgos, Saragosse 
  • 1809 : Santander • 1810 : Pont de Colloto, Pont de Santos, Cangas-d'Onisastaris, Pena-Cava, Avila
  • 1811 : Quintanilla-de-Valle 

Je n'avais pas plus de précisions avant que je ne trouve, en faisant des recherches sur Gallica, un ouvrage particulièrement riche en renseignements, intitulé « Tableaux par corps et batailles des officiers blessés et tués pendant les guerres de l’Empire (1805-1815) » réalisé par A. Martinien.

En citant les officiers blessés ou tués par date, il est ainsi possible, indirectement, de suivre le parcours des différents régiments. Autant dire que ce cher Aristide Martinien nous facilite grandement la tâche !

Extraits de l'ouvrage "Tableaux par corps et batailles des officiers blessés et tués pendant les guerres de l’Empire (1805-1815) » réalisé par A. Martinien (Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LH3-33).
C'est ainsi que j'ai pu retracer le parcours du 119ème que vous trouverez ci-dessous sous forme de tableau.

Reconstitution du parcours du 119ème régiment de ligne de 1808 à 1811 d'après A. Martinien.

La carte ci-dessous permet de préciser les principaux lieux de combats.

Principaux lieux de combats et de passage du 119e Rgmt de Ligne de 1808 à 1811 (fond de carte : https://www.cartograf.fr/les-pays-espagne_2.php).

Conclusion :

Outre les registres matricules ou listes de départ, il est intéressant de s'aventurer dans des sources moins connues, mais qui permettent d'entrer un peu plus dans le détail du parcours d'un soldat pendant l'époque napoléonienne : correspondances de Napoléon, liste des soldats blessés ou tués, études de la SEHRI... Si vous connaissez d'autres sources, n'hésitez pas à m'en faire part !

Bibliographie et sources :


CROYET Jérôme, 2011. Les régiments de marche de l'armée d'Espagne 1808-1809. In "Le Bivouac", 2011-2. pp26-34. [En ligne]

MARTINIEN, Aristide, 1899. Tableaux par corps et batailles des officiers blessés et tués pendant les guerres de l’Empire (1805-1815). Edition Henri Charles LAVAUZELLE, Paris. 824p. [En Ligne].

NAPOLEON 1er. Correspondance de Napoléon Ier. Tome XVII / publiée par ordre de l'Empereur Napoléon II. Imprimerie Impériale, Paris. [En Ligne


Site internet de la Société d'Etudes Historiques Révolutionnaires et Impériales (SEHRI) : http://assosehri.fr/topic/index.html 

Archives départementales de la Moselle :
  • Affectation et contrôles de départ.  Infanterie légère (9e/24e régiments). Archives départementales de la Moselle, 2R8.
  
Service Historique de la Défence :
  • Registres matricules de l’Infanterie de ligne - 119ème Régiment d'Infanterie de Ligne, SHD/GR 21 YC 844-
  • Dossier personnel de solde de retraite - Dossier de Louis-Joseph WALENTIN, SHD 2Yf28343.