Après le parcours de mon arrière-grand-père et de mon grand-père, je vous propose de découvrir un autre point de vue de ces mosellans qui ont combattu sous l'uniforme allemand en 1914-1918. Voici le destin de Paul JOHANNES, cousin par alliance de mon arrière-grand-père, pour qui, l'amour de la France et "l'esprit de 1918" le conduiront s'engager pour sa patrie en 1939.
Deux soldats à la fin de la guerre
Mercredi 19 juillet 1918
Au petit matin, couchés sur un abri de repos, deux soldats habillés en uniforme allemand Feldgrau* échangent quelques mots. Ils sont au milieu de la forêt de Bazancourt dans la Marne. Ils parlent en français :
- On n’a pas idée de venir au monde un 14 juillet, mon cher Paul ! Quel anniversaire, pour une fête nationale, pauvres aïeuls !Ceux qui se laissent ainsi aller à la raillerie sont deux jeunes « Malgré-Eux » lorrains.
- Tu es difficile, mon vieux Georges. Ça n’a pourtant pas manqué de feux d’artifice, ni de gâteries, ni d’honneurs. Ils t’ont servi, signe de grands jours, la « Eiserne Portion » (vivres de réserve) !
- Regarde ce que j’écris à maman.Georges prend la carte postale que lui tend Paul et y lit : « Ma bonne maman ! Nous venons de fêter avec joie mon 19e anniversaire ; joie d’autant plus grande que la guerre me semble gagnée et qu’à cette allure, elle doit finir bientôt… Je continue à rester prudent… ».
- Tu ne manques pas de culot de mettre ça sur une carte postale !Puis les deux camarades se regardent longuement, les yeux brillants. Devant eux, sur cette terre de Champagne à l’aspect funeste et désolé, monte, à mesure que leurs souffrances vont grandissant, les premières lueurs de la délivrance.
Dimanche 10 novembre 1918
Une agitation bouleverse les troupes. Paul et Georges se trouvent à côté de Sedan. Exténués, vidés, ils se sont blottis contre les ruines d’une ferme. Leur cœur bat à se rompre : d’après un renseignement venu du bureau du régiment, les Alsaciens-Lorrains doivent être renvoyés dans leurs foyers dès demain…
Cependant, les éclairs des canons et ceux des obus continuent à illuminer la nuit. Le matin, le régiment se replie enfin, mais tout à coup, un fracas formidable : les obus tombent lourdement.
- Aïe ! Je suis touché, gémit Georges en portant la main sur sa poitrine. Ne m’abandonne pas … Paul… Ce n’est pas possible de mourir maintenant…Paul traine Georges derrière un pan de mur. Il le déshabille avec précaution. Déjà un filet de sang s’échappe de sa bouche.
- Ouvre mon portefeuille, Paul… déchire la doublure que tu connais…Georges en retire le petit drapeau bleu-blanc-rouge du Sacré-Cœur rapporté d’un pèlerinage à Lourdes, le serre sur sa poitrine, puis il contemple avec douleur, les photographies des êtres qui lui sont chers. « Maman… pauvre maman ! » Un nouveau flot de sang s’échappe de sa bouche. C’est fini.
Paul essuie sur ses joues creuses les larmes qui tombent entre ses mains tremblantes. Les nerfs épuisés, il sent ses jambes se dérober sous lui.
Peu après, Paul reprend conscience de son état. Il se dresse et aperçoit un groupe de cavaliers venant dans sa direction. Ce sont des officiers français. Ils s’arrêtent.
- Voyons, tu ne peux pas te décider à partir et quitter la France ? l’interpelle par surprise le premier cavalier.Les regards des officiers se portent sur ce pauvre petit corps. Ils aperçoivent avec stupeur les couleurs de la France sur sa poitrine.
- Non, Monsieur, je suis resté à côté de mon malheureux camarade.
- Mais qui êtes-vous ?Paul conte son histoire. Une profonde émotion gagne tout le monde. Les officiers français mettent pied à terre et saluent l’une des dernières victimes de la catastrophe de 1871 qui, 48 ans après, avait gardé intact et pur l’amour de la France.
Pressant Paul sur son cœur, le chef du groupe, un colonel s’écrie : « Vos pères ont eu le malheur de succomber sur cette terre de Sedan, d’être arrachés à leur patrie. Ils sont enfin vengés. Vos chaines sont rompues ».
Ce passage est adapté d’un texte écrit par Paul JOHANNES en 1934 dans la Voix du Combattant du 10 novembre 1934. Il traduit avec émotion la place que le France tenait dans son cœur ainsi que pour beaucoup d’alsaciens et de mosellans pendant la première guerre mondiale.
Le destin de Paul JOHANNES
L'entre-deux guerre
L’esprit de 1918, celui de la victoire et du retour à la France, va nourrir bon nombre de mosellans et d’alsaciens durant toute leur vie. Le destin de Paul JOHANNES en est un excellent témoignage.Paul JOHANNES (Source : Gallica) |
Neuf mois plus tard, en janvier 1925, Gabrielle donne naissance à un fils, Jean-Jacques. Mais la joie de cette jeune famille sera de courte durée car Gabrielle meurt le 6 janvier 1927. Paul se marie en secondes noces avec Marie-Thérèse BOSMENT, originaire de Hayange.
Après la première guerre mondiale, Paul va s’investir dans l’Union Nationales des Combattants de la Moselle où il devient secrétaire-trésorier dans les années 1930. Il n’aura de cesse de faire valoir la mémoire des soldats « Malgré-Eux » et l’esprit de 1918.
Les bouleversements de la seconde guerre mondiale.
A la veille de la seconde guerre mondiale, Paul est installé à Mondelange où il est directeur de Cimenterie. Son fils, Jean-Jacques, s'engage en Math Sup. Pourtant, en 1939, la guerre éclate à nouveau. Paul reprend du service au 5ème bureau de l’Etat-Major de l’Armée en tant que Capitaine de Réserve. Sa famille est évacuée dans la région de Neufchâteau (Vosges). Mais la débâcle de 1940 conduit une nouvelle fois à l’Annexion de l’Alsace et de la Moselle. Tant d’efforts en 1918 pour arriver à ça !
Paul est alors affecté à Clermont-Ferrand dans le cadre de la Commission allemande d’armistice. Sa famille rentre à Mondelange en juillet 1940.
Très rapidement, à Clermont-Ferrand, Paul prend part aux réseaux de Résistants et devient Chef de Poste 113 au sein du Réseau S.S.M.S/T.R. (Service de Sécurité Militaire Français). A partir de 1942, il assure le commandement d’un poste important de contre-espionnage en France occupée en établissant la liaison par messages radios entre le Premier Ministre Churchill et le Général Georges. Il est rejoint par son fils ainé, Jean-Jacques, qui entre également dans les services spéciaux.
Pendant ce temps, son épouse est restée à Mondelange. En janvier 1943, elle évacuée avec ses deux enfants en Pologne avant d’être rapatriée grâce à une procédure engagée par sa sœur et son frère. A son retour en Moselle, elle réalise des démarches pour rejoindre Paul. Elle sera expulsée en avril 1943, en même temps que ses parents. Finalement, une grande partie de la famille s’installe en Auvergne. Ainsi, l’oncle et la tante de l’épouse de Paul s'installent à Murol, où ils participent également aux communications dans le cadre du réseau de Résistance du Poste 113.
Malheureusement, en juin 1943, le réseau est dénoncé. Paul, son fils Jean-Jacques ainsi que sa tante Eugénie CLAUDEL, et sa belle-sœur Madeleine BOSMENT sont arrêtés et emprisonnés.
- Paul est interné puis déporté le 17 janvier 1944 au départ de Compiègne pour arriver le 19 janvier au camp de Dora-Buchenwald (matricule 39691). Il sera libéré en avril 1945.
- Jean-Jacques est arrêté le 9 juin 1943 et déporté le 14 janvier 1944 à Buchenwald-Dora. Il est ensuite transféré à Neuengamme et Wöbbelin. Jean-Jacques ne reviendra pas.
- Eugénie CLAUDEL et Madeleine BOSMENT sont incarcérées puis partiront le 31 janvier 1944 de Compiègne, dans le convoi que l’on appelle le "convoi des 27000". Elles seront internées dans le camp de Ravensbrück. Madeleine partira au Kommando de Zwodau avant d’être libérée le 7 mai 1945. Eugénie CLAUDEL aura un destin plus sombre, car elle sera gazée à Ravensbrück en avril 1945.
AD63 - Clermont-Ferrand, Murol. 1943, juin : arrestations et déportations. 1945 908 W 161 |
L’amour de la France, cet esprit de 1918, est resté dans le cœur de Paul. Au risque et au péril de sa vie, ainsi que de celle de sa famille, il s'est engagé pour sa patrie. Paul restera à jamais marqué par ces épreuves et la mort de son fils. Malgré tout, il gardera la fierté d’avoir retrouvé la nationalité française.
Sources :
- La voix du Combattant, n°797, numéro du 10/11/1934. Union nationale des combattants (Paris). En ligne (Gallica) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62688774
- Actes d'Etat-Civil sur la vie de Paul JOHANNES (communes de Distroff, Thionville, Hayange) : Archives Départementales de la moselle
- Dossier des victimes de la seconde guerre mondiale : AD63 - Clermont-Ferrand, Murol. 1943, juin : arrestations et déportations. 1945 908 W 161
- Liste des personnes déportées : Fondation pour la mémoire de la déportation/Livre Mémorial - En ligne : http://www.bddm.org/liv/index_liv.php
- Dossier de combattant de Paul JOHANNES - AD57 - 1001W193/2
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Biographies des noms gravés sur le Monument de Ramatuelle - Mémorial National AASSDN. Biographie de Jean-Jacques JOHANNES. En ligne : http://www.aassdn.org/araMnbioIa-Jz.html
C'est un beau récit Sébastien ! On comprend bien son engagement pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mon arrière-grand-père a vécu la Première Guerre et s'est également engagé comme résistant en 40, il a aussi été envoyé à Buchenwald depuis Compiègne et a passé 1 an à Langenstein. Encore bravo pour ce 2e épisode très touchant et bien raconté !
RépondreSupprimerMerci Marion pour ton commentaire. Ils sont effectivement nombreux, combattants de la première guerre mondiale, à s'être engagé dans le Résistance. En travaillant sur la famille Johannès, j'ai pu étudier un peu plus le contexte des déportations et des camps de concentration. Triste période de l'histoire.
SupprimerTrès bon choix, d'une belle personne, et de l'engagement de différents membres d'une famille. Très émue en lisant ces lignes.
RépondreSupprimerMerci pour ton commentaire;)
SupprimerDès le démarrage du #RMNA, je savais que je devais parler de Paul et de sa famille. Ces lignes sont également une façon de leur rendre hommage.
Ces récits nous font découvrir l’histoire tragique des jeunes « Malgré-Eux » engagé dans des guerres insensées. Le lecteur est auprès d’eux tremblant sous le feu des obus.
RépondreSupprimerCes deux RMNA sont rempli d’émotions que l’on partage avec toi.
Merci à toi pour ton commentaire. Je pense effectivement que pour beaucoup, le sens de cette guerre n'allait pas dans le sens généralement admis et expliqué encore de nos jours...
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