samedi 15 juin 2019

#RDVAncestral - Soldat malgré-moi


Voici quelques mois que je n’ai pas pris le temps de partir à la rencontre de mes ancêtres. Pour l’heure, je n’arrive pas à me concentrer et j’ai du mal à trouver l’inspiration qui me conduira à partir dans le passé. Une page blanche… voilà ce que j’ai sur mon écran d’ordinateur. Dépité, je me décide à me coucher… peut-être que la nuit portera conseil ?


Allongé dans le lit, mon esprit vagabonde. Mes pensées commencent à devenir vagues jusqu’à ce que je ressente des frissons qui me parcourent le corps. Puis, c’est comme si le gel m’envahissait : les pieds, les jambes, les mains… Je suis transi de froid. Au loin, j’entends des grondements sourds… comme du tonnerre. Ne sachant ce qui m’arrive, je n’ose pas ouvrir les yeux.

Soudain, je perçois les pas d’un homme qui avance vers moi en me criant d’un ton autoritaire : « Franzose ! Steh Auf ! Schnell !! ».

Je suis bien obligé d’ouvrir les yeux et de me confronter à la réalité qui est devant moi. Cet homme qui me demande de me lever est certainement un officier allemand. Mais dans quelle situation me suis-je mis ?

Sous ses ordres, je me lève et récupère le paquetage qui était à côté de moi ainsi qu’un fusil qui devait être le mien. L’officier quitte enfin la pièce en continuant à vociférer des mots que je n’arrive pas à comprendre. La peur m’envahit, je commence à paniquer, je frissonne.

Dans cette étrange situation, je n’ai même pas remarqué la présence d’un jeune homme à quelques pas de moi, un soldat allemand sans doute. Il se lève de sa chaise et vient dans la direction. « N’ayez crainte, je suis français, tout comme vous ». Le ton est posé, et ses propos rassurant arrivent à me calmer un peu. Pourtant… son visage… non, je ne rêve pas, ce jeune soldat est mon grand-père, mon papi que je n’ai jamais connu. Mes émotions se mélangent, des larmes se mettent à couler sur mes joues rougies par le froid.
 « -Je comprends, c’est difficile les premiers jours, mais on s’y fait. Enfin non… on apprend à vivre avec ses peurs et son dégout de la guerre. Je m’appelle Pierre.
-Bonjour Pierre. Enchanté. Je suis très heureux de vous connaître. Je m’appelle Sébastien
-Sébastien ? C’est un prénom plutôt rare ! » 

Pierre, Malgré-nous
Notre conversation est stoppée par un bruit assourdissant qui fait trembler notre baraquement. Alors que je sursaute, Pierre, en revanche, semble ne plus être étonné par ce qui se passe.

« - Je suis heureux de parler avec un compatriote dans la langue de nos parents. Cela fait plus d’un an que je ne suis pas rentré chez moi, en Lorraine. Mon père et ma mère me manquent terriblement et ici, nous n’avons plus aucune nouvelle de nos familles. J’espère qui ne leur est rien arrivé !
- Je le souhaite de tout cœur.
- Cette situation est éprouvante. Il y a des jours où je suis désespéré. La guerre est une abomination. Si je rentre, je me jure de ne jamais parler de tout cela. Ma famille n’a pas à entendre des atrocités pareilles. La vue des cadavres, des morceaux de chair… je ne supporte plus. Nous sommes en Lettonie depuis des mois. A quand la fin de cette guerre ? Reverrai-je un jour la maison de Marange ? Je rêve de ces matins d’été où le soleil vient doucement caresser mon visage, de ces moments où je pouvais jouer avec ma petite sœur dans les près derrière la maison… » 
Pierre commence à pleurer. La tristesse m’envahit également et nous tombons dans les bras l’un et l’autre, à la recherche d’un réconfort impossible dans cette situation.

Pourtant, ce moment de répit s’arrête brusquement lorsque l’officier allemand vient nous retrouver. Il nous ordonne de sortir pour aller combattre. Je dois alors suivre mon Pierre qui, essuyant ses larmes, avance d’un pas mécanique, comme s’il avait rangé ses sentiments au plus profond de son être.

A l’extérieur, l’air est encore plus glacial. La neige et le vent me paralysent les os. En rang, notre unité commence à marcher d’un pas décidé vers le champ de bataille. Pierre se tourne régulièrement vers moi, comme s’il voulait m’encourager à ne pas faiblir. Je connais effectivement le sort de ceux qui ne veulent pas entrer dans le rang…

Heeresgruppe Kurland - Feb 17, 1945: German Soldiers, 2Nd, Alemanes Ww2, (Source Pinterest)
Notre avancée est difficile dans la neige. Plus nous marchons, et plus le bruit des bombes et des mitrailleuses se fait assourdissant et régulier. J’ai peur, vraiment peur. Les larmes coulent à nouveau. Cette peur-là, je ne l’avais jamais ressentie. A mesure que nous progressons, les battements de mon cœur s’accélèrent. Maintenant, c’est mon corps tout entier qui tremble. Je me raidis, mon ventre est atrocement douloureux. J’ai la nausée, je ne me sens pas bien. Je n’arrive plus à respirer. Cette peur, terrible, celle qui paralyse, c’est celle qu’a vécu mon Papi pendant la guerre. Finalement, dans ce #RDVAncestral, c’est comme si je faisais corps avec lui.

Puis soudain, les évènements s’accélèrent. J’entends des cris en allemand que je ne comprends pas. La situation devient chaotique. Un premier obus vient s’abattre à quelques mètres de nous, puis un second. Nous sommes projetés à terre. Dans la confusion générale, la majorité de notre unité tente de s’enfuir alors que certains sont au sol, immobiles. J’entends des cris et des hurlements. Paniqué, je me relève et j’essaye de retrouver désespérément mon grand-père : « PIERRE !!! PIERRE !!! PIERRE !!!! ».

Le sol est jonché de débris et de choses que je ne peux pas décrire ici.

Je cherche.

Je crie.

Je hurle : « PIERRE !!! ».

Mon Dieu, où est-il ?

Enfin, il me répond. Il est à quelques pas de moi. D’une voix tremblante, il m’appelle : « Je suis là ! ». Il est blessé, très sérieusement. Je viens à lui et lui prends sa main. Dans son regard, je sens que la douleur est atroce. « Laisse-moi, c’est la fin. Personne ne viendra sauver un Franzose ».

Mais NON! Je ne peux me résoudre à laisser mon grand-père ici. Ce n’est pas possible ! Plusieurs minutes s’écoulent et lorsque le calme revient, un officier appelle l’ensemble des soldats encore valides à se repositionner. Me voyant indemne, il vient me trouver et m’arrache à Pierre en criant « Komm her ! Schnell ! ».

C’est une déchirure. Je hurle à en perdre la voix. Pourtant, c’est dans ce moment de ténèbres et de profond désespoir que vient le rayon de lumière qui transperce le chaos et vient apporter la lueur de l’espoir. Voyant la détresse de Pierre, un soldat allemand se détourne de son chemin pour aller à son chevet et lui procurer les premiers soins. Voilà. Pierre est sauvé.

Éprouvé mais soulagé par la prise en charge de mon grand-père, je perds connaissance.

Petit à petit, mon corps se réchauffe, mon esprit tente de revenir à moi et enfin, je me réveille, allongé dans mon lit… Me voici de retour de mon #RDVANcestral.

C'était un 11 février 1945, date à laquelle mon grand-père fut blessé par un éclat d’obus en bas de la colonne vertébrale. Sauvé par un soldat allemand, il fut temporairement paralysé puis hospitalisé au Réserve-Lazarett II Regensburg. Sans cette blessure, mon grand-père aurait sans doute péri quelques semaines plus tard, dans la débâcle de l'armée allemande dans la poche de Courlande...