J'ai choisi de vous présenter le parcours de quatre ancêtres ou collatéraux. Quatre parcours différents de soldats mosellans, qui ont combattu avec l'uniforme allemand, et pour lesquels la fin de la Grande Guerre a eu un impact important dans la suite de leur vie. Pour démarrer, je vous propose de partir à la rencontre de Pierre HOURTE, dont j'ai déjà relaté son parcours dans l'armée allemande de 1916 à 1918. Découvrons aujourd'hui son destin après 1918.
Tranche de vie : le retour au pays d'un fils tant attendu
Pierre HOURTE (Coll. Pers) |
Enfin le voilà. A son arrivée, Pierre embrasse ses parents. Il a un mot de réconfort pour sa mère, Catherine, elle qui se fait facilement du souci. Elle avait besoin de cela : voir son fils, le sentir, le toucher. Il est bien en vie et en bonne santé, et c'est le principal.
Catherine lui sert un café. A la ferme, rien n'a beaucoup changé. Pourtant, pour les parents de Pierre, les tâches quotidiennes deviennent chaque jour un peu plus difficiles. À 67 ans, son père a de plus en plus de mal à manier la charrue. Pierre sait qu'ils ont de plus en plus de mal à exploiter la ferme familiale.
Après avoir discuté des nouvelles du village et des personnes qu'ils connaissent, Pierre se fait plus solennel. Il se racle la gorge et annonce à ses parents :
" Je dois vous annoncer une nouvelle.Après cette déclaration, sa mère lui prend sa main, sans dire un mot. Elle regarde son fils et semble approuver sa décision. Pierre reprend alors :
La guerre m'a beaucoup fait réfléchir. Sur le front, j'ai vu partir beaucoup de mes camarades. J'ai appris que la vie n'est pas éternelle et que nous devons profiter de chaque instant. Je sais que les travaux de la ferme deviennent de plus en plus difficiles pour vous. Vos forces s'amenuisent et vous avez besoin de bras. C'est pour tout cela que j'ai décidé d'arrêter mes études au séminaire de Metz. Je vais rester ici, avec vous, pour vous aider. "
" La guerre m'a aussi amené à réfléchir sur mon avenir. Je ne me sens pas de rester seul toute ma vie, et j'éprouve désormais le besoin de fonder une famille, d'avoir des enfants. Vous savez, après réflexion, je pense qu'il est bien plus agréable d'avoir au pied de son lit deux paires de chaussons !".La guerre avait transformé Pierre. Dans ma famille, on disait de lui qu'il était brillant. Il avait appris à jouer du violon et parlait un allemand et un français parfait. Certes, il aurait pu faire de longues études, devenir prêtre ou alors apprendre un métier. Mais la réalité de la vie et l'expérience de la guerre lui ont fait prendre une toute autre décision.
La une de l'Est-Républicain, le 12/11/1918 (Source : Le Kiosque Lorrain) |
La vie de Pierre après 1918
Carte d'identité de Céline NEISSE. |
Après le 11 novembre 1918, les alsaciens et les mosellans vivent dans une grande incertitude. Après quelques semaines d'allégresse, la morosité et le désenchantement s'installent (1). La population germanophone se voit contrainte de parler une langue qui ne connaissent pas. Dans les villes et les administrations, les allemands qui s'étaient installés depuis près de 40 ans sont renvoyés en Allemagne, avec humiliation et mesures vexatoires. A Paris, on se méfie de la population locale et on préfère installer des "français de l'intérieur" aux postes clefs. Les Mosellans ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone dans leur propre pays (2). En décembre 1918, des cartes d'identités spécifiques sont créées pour les mosellans qui, officiellement, ne sont pas encore français. Pierre reçoit une carte de type "A" qui est donnée aux mosellans nés en France ou en Alsace-Moselle.
A Vinsberg, malgré ces grands bouleversements, la vie et les occupations de la journée ne changent guère. Comme il l'avait annoncé, Pierre prend part aux travaux de la ferme. Quelques mois après son retour, il fréquente Céline NEISSE. Céline n'est pas une inconnue puisqu'ils ont tous les deux le même âge et ils habitent à quelques centaines de mètres l'un de l'autre.
Céline et Pierre se marient en novembre 1921 à la mairie de Volstroff, puis à l'église Saint-Martin de Metz. Moins de deux ans plus tard, Céline met au monde leur fils, Pierre, mon grand-père (Pour la suite de cette histoire, je l’appellerai par son surnom "Pierrot", ce sera plus commode pour différencier le père et le fils!).
Céline NEISSE (Coll.Pers). |
Pierre est maintenant seul avec son petit Pierrot âgé de 3 ans et sa mère, Catherine, qui a maintenant 67 ans. Pourtant, il ne restera pas sans épouse très longtemps car une vieille tante qui vit à quelques kilomètres de là décide de lui trouver une compagne. Elle lui présente Clémence. Force est de constater que l'amour opère car ils tombent amoureux l'un de l'autre, comme en témoignent les lettres que Pierre a envoyé à sa promise. Le mariage entre Pierre et Clémence est célébré en avril 1928. Elle donne naissance à trois enfants, dont un décédera en bas-âge. A la maison, Pierrot voit en Clémence une véritable mère qui s'occupe de lui comme de son propre fils.
La vie à la ferme de Vinsberg ne plaît bientôt plus à la famille qui part s'installer à Marange-Silvange. Pierre vend les terres et devient alors ouvrier aux usines d'Hagondange qui cherchaient de la main d’œuvre.
Le destin se répète : son fils, soldat allemand, blessé au combat
Lorsque la guerre éclate en août 1939, Pierre à 42 ans et son fils, Pierrot en a 16. Après la débâcle de 1940, l'Alsace et la Moselle sont à nouveau annexées par le 3ème Reich. L'année de ses 20 ans, Pierrot est enrôlé de force dans l'armée allemande. Ces soldats seront appelés plus tard les Malgré-Nous*. Quel choix a-t’il ? Partir ou désobéir ? Refuser serait synonyme d'emprisonnement, voire de déportation, pour lui et sa famille. Pierrot part sur le front russe et arrive pour la première fois sur le champ de bataille le jour de ses 20 ans, le 23 octobre 1943. Pierrot se souviendra toute sa vie de ce qu'il a vu ce jour là... un arbre, ou du moins ce qu'il en reste, et collé sur le tronc, une main ensanglantée. Devant cet horreur, ses seuls mot sont "Maman, qu'est-ce que je fais là !".
Tout comme son père en 1916, Pierrot prend part aux combats en uniforme allemand. A Marange, son père essaie de suivre sa position grâce aux quelques lettres qu'il reçoit de son fils. Mais en 1944, plus aucune nouvelle. Pierrot a été blessé. Lourdement. Beaucoup plus que son père en 1917. Pourtant, c'est sans doute cette blessure qui le sauvera d'une mort certaine. Tout comme son père, il passera la fin de la guerre en hôpital et en repos.
A l'automne 1944, l'espoir renaît enfin à Marange. Les troupes alliées avancent et atteignent le plateau à l'ouest de la Moselle. Pierre prend alors part aux combats pour libérer le village de Marange. Il est affilié aux FFI. Pierre et toute sa famille redeviennent enfin français !
Plusieurs mois plus tard, un beau jour de mai 1945, on vient crier à la fenêtre de la maison : "Madame Hourte ! Madame Hourte ! Vl'à vot' fils qui revient !". Tout comme ce mois de novembre 1918, à son arrivée, Pierrot embrasse ses parents. Il a un mot de réconfort pour sa mère, elle qui se fait facilement du souci pour son fils... Le destin se répète vous dis-je...
Je ne peux terminer cette histoire en mentionnant les dernières années de Pierre. Son fils Pierrot, se marie deux ans plus tard avec ma grand-mère. Malheureusement, Pierre ne connaîtra pas ses petits-enfants, car il disparaît en février 1948, à l'âge de 50 ans.
Dans le prochain #RMNA, je vous raconterai l'histoire de Paul-Julien JOHANNES, cousin par alliance de Pierre HOURTE. J'essayerai de vous expliquer ce qui a poussé la population mosellane a changé d'avis et à vouloir un retour à la France. Vous verrez également comment, l"esprit de 1918" a marqué la vie de Paul-Julien, et l'a poussé à entrer dans les réseaux de Résistant en 1940.
* J'avais écrit un article sur le destin de mon grand-père au premier ChallengeAZ de 2013. Vous le retrouverez ici.
Sources :
- ASCOMEMO, 2007. Le retour de la Moselle à la France 1918-1919. Collection Mémoire en Image. Editions Sutton. 96p.
- Jean-François THULL, 1918 – 2008 : 90e anniversaire du retour de la Moselle à la France, Les Cahiers Lorrains, 2008, N. 3-4, pp. 76-79.
- MilitärPass de Peter HOURTE du 21/09/1916 à octobre 1918 (Document familial personnel)
- Témoignages et documents familiaux (carte postale envoyée par Pierre à ses parents en avril 1917, photographies)
- Parcours militaire de Pierre HOURTE (mon grand-père). Extrait de son registre matricule (Deutsche Dienststelle - WAST)
- Témoignages et anecdotes de ma grande-tante, fille de Pierre et sœur de mon grand-père.
Bravo j'en ai des frissons ... Décidément, ce XXè siècle a fait vivre des situations bien difficiles et a profondément influé sur les destins de nos ancêtres proches.
RépondreSupprimerMerci Brigitte pour ton commentaire qui me touche. Je suis heureux que les émotions que j'ai eues à l'écriture de mon article soient partagées. Ce texte est également un hommage à mon grand-père et mon arrière-grand-père maternel.
SupprimerTrès intéressant, bravo !
RépondreSupprimerMerci Catherine pour ton commentaire ! Ce sujet est un sujet particulier à la Moselle et à l'Alsace. Il me tient à cœur car il existe encore beaucoup de méconnaissances sur cette période.
SupprimerLoved reading thiss thanks
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