mercredi 20 février 2019

#Projet3Mois - Quand une étude sur les conscrits de 1807 m'amène à étudier la taille de nos aïeux (Saison 2, Episode 3)


En réalisant l’étude sur la conscription de Louis-Joseph WALENTIN, j’ai découvert une source historique très riche qui nous renseigne sur différents aspects de la jeunesse masculine de cette époque. En effet, les données issues des archives militaires procurent des échantillons sans doute assez représentatifs pour réaliser quelques études statistiques et anthropométriques des jeunes hommes de l’époque. 


Je vous propose de nous arrêter un instant sur les conscrits de 1807 de la Moselle, partis au 13ème régiment d’infanterie légère (ou 13ème léger). Vous verrez qu'au delà des éléments statistiques relevés sur la couleur des cheveux ou les professions, j'ai essayé d'aller un peu plus loin sur la taille des conscrits, mais aussi de nos ancêtres...

Compilation des informations


La liste des conscrits du contrôle de départ du 13ème léger compte 157 hommes dont certains ont été remplacés ou réformés. J’ai compilé l’ensemble des informations sous la forme d’un tableau Excel afin de pouvoir réaliser quelques analyses statistiques. J'ai notamment renseigné pour chaque homme sa date et son lieu de naissance, sa commune de résidence, l'identité de ses parents, sa taille, la couleur de ses cheveux, sa profession... Ce tableau m'a également été utile pour suivre la destinée de certains d'entre eux au cours de leur carrière militaire (mais ceci est un autre sujet que je traiterai un peu plus tard...).

Voici à quoi ressemble mon tableur excel :

Base des conscrits mosellans de l'année 1807 entrés dans le 13ème Régiment d'Infanterie Légère (AD57 - 2R8)


La couleur des cheveux


Ma première analyse concerne l'étude de la couleur des cheveux. La liste des mosellans du 13ème léger fait apparaître six couleurs de cheveux : noirs, bruns, châtains, châtains clairs, blonds et roux. Le graphique suivant permet de voir la répartition des différentes couleurs de cheveux.

Couleur des cheveux des conscrits mosellans de l'année 1807 entrés dans le 13ème léger (AD57 - 2R8)

Le châtain prédomine (50% des conscrits), mais ce chiffre est plus faible que la moyenne nationale pour l'année 1810 (étude réalisée par Houdaille en 1988). On peut noter la présence de deux roux, parmi lesquels mon aïeul Louis-Joseph WALENTIN dont la rousseur avait été notée comme étant un de ses signes particuliers !


La taille des conscrits mosellans de 1807


L’étude réalisée à partir de mon échantillon de 157 hommes de 18 à 25 ans fait apparaître que les conscrits mosellans de 1807 avaient une taille moyenne de 162,5 cm. Le plus grand mesurait 177,2 cm et le plus petit 154,9 cm. Parmi eux, Louis-Joseph était un plus grand que la moyenne avec 165,5 cm. Statistiquement, cela signifie que 82% des conscrits étaient plus petit que lui.

Ces résultats sont tout à fait concordants avec les observations réalisées par Bernard KAPPAUN dans son étude sur la conscription en Moselle où il a calculé que la taille moyenne des hommes oscillait entre 1,656 m et 1,626 m (KAPPAUN, 1987).

Attention cependant, ce chiffre surestime la réalité car les conscrits qui mesuraient moins de 1,539 m étaient exemptés. L'étude de Bernard KAPPAUN signale par exemple que neuf conscrits de l'An XIV de la commune d'Augny (près de Jouy-aux-Arches) se singularisent par leur petite taille. Ils ont respectivement : 1,217, 1,147, 1,367, 1,150, 1,217, 1,622, 1,187 et 1,127 m !

Taille et métiers

L'intérêt des bases de données est de pouvoir analyser et comparer un peu près tout ce qui peut être comparable (ou pas!). Sur la base des métiers renseignés dans le registre de contrôle de départ, j'ai calculé la taille moyenne par "catégorie socio-professionnelle" dont les résultats sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Métiers et taille moyenne des conscrits mosellans de 1807 entrés dans le 13ème léger (AD57 - 2R8)

On remarque assez rapidement que les métiers du bois (bucherons notamment) ainsi que les vignerons et artisans se détachent très nettement des autres conscrits. Leur taille moyenne est en effet significativement plus élevée que les autres catégories, ce qui laisse à penser que leur niveau de vie devait sans doute être meilleur.  Les cultivateurs, laboureurs présentent des tailles sensiblement égales à celle des journaliers et manœuvres et sont au bas de l'échelle.


De la taille de nos ancêtres


Donc, si l’on s’en tient à ces données statistiques, nos ancêtres étaient plus petits que nous (du moins les conscrits de l'année 1807).

D'après un chiffre que j'ai retrouvé sur Wikipédia (et que je n'arrive pas sourcer), en 2006, la taille moyenne des jeunes hommes en France était de presque 1,78 m pour les 18-29 ans, soit 15 cm de plus que les jeunes de 1807... Pour moi qui mesure 1,79 m, j’aurais fait figure de géant !

On dit souvent que nos ancêtres étaient effectivement plus petits. Pourtant, en étudiant un peu plus la question, je me suis rendu compte que la réalité était bien plus complexe...

Non, nos ancêtres n'ont pas toujours été plus petits que nous !


Il est possible de retrouver la taille de nos ancêtres via différentes sources. Pour les périodes anciennes, l'archéologie apporte des renseignements utiles grâce aux squelettes et cercueils retrouvés dans les sites d'inhumation. A partir du 17ème siècle, les archives militaires apportent, du moins pour les hommes, des données anthropomorphiques sur la taille des soldats et conscrits.

J'ai lu dans un document réalisé par Alsace, Culture et Patrimoine, que durant l'histoire récente (début du moyen-âge à nos jours), la taille des hommes a beaucoup varié (Jacob, 2015).

D'après une étude réalisée dans 80 cimetières de la ville de Berne, on a pu constater que la taille moyenne des hommes au début du moyen-âge était comprise entre 1,70 et 1,75 m (vous avouerez que ceci est nettement supérieur à la taille des conscrits de 1807...). Des études de paléo-anthropologie ont d’ailleurs confirmé ces éléments en expliquant que la taille moyenne des hommes entre le 9ème et le 11ème siècle devait être légèrement supérieure à celle d’aujourd’hui (étude réalisée par Richard Steckel de l’Ohio State University). La taille aurait ensuite diminué entre le 12ème et le 16ème siècle pour atteindre un minimum aux 17ème et 18ème siècles (Jacob, 2015). 

Les archives militaires : des sources de taille !


De nombreux chercheurs ont réalisé des études anthropomorphiques sur la base des données militaires de l'ancien régime à nos jours. 

Une étude réalisée par John Komlos en 2003 a pu démontrer, que la taille moyenne des hommes a fortement varié entre 1670 et 1765 comme le montre très bien le schéma ci-dessous extrait de son excellent article.

Évolution de la taille des soldats français de 1670 à 1765 (Source : Komlos, 2003).

En réalité, la taille moyenne était fortement dépendante des conditions de vie. On imagine ainsi très bien que lors des périodes de famines et d’épidémies, les tailles ont pu baisser par rapport à des périodes plus prolifiques. Ainsi, l'étude de Komlos va plus en loin en démontrant une corrélation entre la taille des jeunes hommes et le prix du blé à Beauvais de 1697 à 1750.

L'évolution de la taille de nos ancêtres est révélatrice des conditions de vie de l'époque où les aléas climatiques, épidémies et guerres, pouvaient limiter considérablement les ressources alimentaires et impacter la croissance des enfants et jeunes adultes.  

Essai d'une reconstitution de la taille des hommes de 1200 à nos jours

La diversité des sources sur le sujet de la taille de nos ancêtres m'a amené à synthétiser ces informations sous la forme d'un tableau et d'un graphiques (les sources sont citées en bas de l'article).


Bien évidemment, il faut prendre ce graphique avec précaution car il juxtapose différentes informations issues de sources et de protocoles différents (il existe donc des biais que je ne peux corriger). Pour autant, il permet de réaliser une synthèse sur les données anthropomorphiques de nos aïeux, hommes, depuis plusieurs siècles.



En conclusion :


Au démarrage de mon analyse statistique sur les conscrits mosellans de 1807, je ne pensais pas partir sur une réflexion sur la taille de nos ancêtres. J'ai appris que nos aïeux n'étaient pas forcément si petits que cela, et que leur taille n'était qu'une des nombreuses conséquences visibles des conditions de vie de leur époque.

Sources :


Registre du contrôle de départ des conscrits mosellans de l'année 1807 pour le 13ème régiment d'inganterie légère (Archives départementales de la Moselle - 2 R 8)


BERTILLON Jacques, 1886. La taille de l'homme en France. Journal de la société statistique de Paris, tome S26 (1886), p. 115-12. [En ligne]

CHAMLA Marie-Claude, 1964. L'accroissement de la stature en France de 1880 à 1960 ; comparaison avec les pays d'Europe occidentale.. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, XI° Série. Tome 6 fascicule 2, 1964. pp. 201-278. [En ligne]

DJEDID, Karim et HAU, Michel, 2009. « Stature et malnutrition dans l'Alsace de la première moitié du XIXe siècle », Histoire, économie & société, vol. 28e année, no. 1, 2009, pp. 35-56. [En ligne]

HOUDAILLE Jacques, 1988. La couleur des cheveux en France : 1770-1940. In: Population, 43ᵉ année, n°6, 1988. pp. 1136-1137.

JACOB Pierre, 2015. Quelle était la taille de nos ancêtres ? Alsace Culture et Patrimoine. [En ligne]

KAPPAUN Bernard, 1987. La conscription en Moselle sous le 1er Empire. In : Les Cahiers Lorrains, 1987, N°2, pp. 181-201. Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine. [En ligne]

KOEPLE, Nikola, BATEN Joerg, 2005. “The Biological Standard of Living in Europe during the Last Two Millennia.” European Review of Economic History 9(1): 61–95. [En ligne]

KOMLOS John, 2003. Histoire anthropométrique de la France de l'Ancien Régime. In: Histoire, économie et société, 2003, 22ᵉ année, n°4. Enfant malade, enfant souffrant, sous la direction de Jean-Pierre Bardet et Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. pp. 519-536. [En ligne]

Vous pouvez également lire l'article de Raymond Deborde sur ses "petits ancêtres" : https://arbredenosancetres.wordpress.com/2017/04/16/mes-petits-soldats-1-le-premier-empire-1804-1815/

14 commentaires:

  1. Étude très intéressante qui va bien au-delà de la conscription de ton ancêtre en effet !
    L'analyse de la couleur des cheveux m'a également intéressée, c'est quelque chose qui m'a toujours intriguée : je ne sais pas pourquoi je les imagine tous bruns ou châtains, donc je suis surprise à chaque fois que j'apprends que l'un d'entre eux était blond...

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    1. Merci Christelle pour ton commentaire ! Nous avons souvent des préjugés sur nos ancêtres comme la taille ou la couleur des cheveux. Tu pourras lire la courte étude de Jacques Houdailles (en lien dans les sources) qui explique que les cheveux de nos ancêtres se sont peu à peu éclaircis.

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  2. Quel travail ! Bravo et merci pour toutes ces informations très intéressantes.

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  3. Passionnante ton étude, Sébastien ! Chacun y puise ses propres réflexions, la mienne c'est une surprise, celle de constater que la taille est à ce point corrélée à la nutrition et qu'aux périodes de "vaches maigres" (fin 18°/19°) nos ancêtres ont rapetissé!

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    1. Merci Marie pour ton commentaire. J'ai été tout autant étonné de voir ces corrélations si fortes entre la taille et le prix des denrées alimentaires, même si finalement, tout cela semble logique. Il existe même des études qui tentent d'estimer la taille des individus en fonction des paramètres comme le prix de la farine, le climat...

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  4. Impressionnant, très impressionnant, super article. Nouvelle preuve également que Napoléon n'était pas si petit que cela pour l'époque !

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    1. Merci beaucoup Renaud. Effectivement, Napoléon mesurait 1,69 m ce qui est finalement plus grand que la moyenne des conscrits !

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  5. Quelle coïncidence! Je viens de lire en ligne "Stature et malnutrition dans l'Alsace de la première moitié du XIXe siècle" de Karim Djedid et Michel Hau pour comprendre pourquoi mon ancêtre alsacien, ses frères et sœurs, sauf l’aîné, ont quitté le vignoble familial vers 1840 pour l'industrie textile. J'ai été très étonnée de lire que même les vignerons présentaient "un taux élevé de malnutrition". J'imagine que l’aîné s'est retrouvé avec le vignoble (de force??) pour éviter d'"atomiser" le vignoble encore plus et pour pourvoir à la survie de certains en laissant les autres se débrouiller, Les filles à trouver des maris qui pourraient s'occuper d'elles en dehors du village natal, les garçons en se faisant embaucher dans les tissages des villes voisines. En tous cas, je n'aurais pas eu le courage de faire toutes vos analyses. Annick H.

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    1. Bonjour Annick, c'est effectivement une drôle de coïncidence !
      On oublie parfois aujourd'hui à quel point les conditions climatiques étaient essentielles pour la vie de nos ancêtres. Des mauvaises récoltes signifiaient, dans les champs comme dans les vignes, des ressources alimentaires, des prix plus élevés, des problèmes de malnutrition, plus de maladies... Cela explique aussi pourquoi beaucoup d'entre-eux ont quitté leurs terres pour partir travailler dans les entreprises des villes voisines (tissages, cristalleries) ou alors dans les mines et usines.

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  6. Courageuse et intéressante synthèse, je découvre aussi les variations de taille au fil des siècles.

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    1. Merci Fanny pour ton commentaire. Heureux que mon article puisse apporter un nouvel éclairage sur la variation de la taille de nos ancêtres au fil des siècles !

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  7. Quel article, bravo. Je trouve en tout cas tes mosellans de 1807 plutot grands, j'avais eu l'occasion de faire une analyse similaire - mais moins aboutie - sur la classe 1889 - de mémoire - de Vouillé, et mes conscrits étaient plus petits. Mais a priori on est petit dans le Poitou - encore une impression que j'ai qu'il faudra que je vérifie.
    En tout cas, beau boulot, bravo

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    1. Merci beaucoup Brigitte pour ton commentaire. Je pense que ton imporession est la bonne car il existait effectivement des disparités régionales assez prononcées en France. Une étude réalisée par Jacques Bertillon en 1886 montre que la taille était plus petite dans le centre et au sud-ouest de la France (au contraire du nord-est). C'est très nettement visible dans la page 3 du document en lien : http://www.numdam.org/article/JSFS_1886__S26__115_0.pdf

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